Nos microbes contrôlent… nos relations sociales !
L'idée fait son chemin parmi les spécialistes : et si le développement de la sociabilité dans le règne animal s'expliquait - au moins en partie - par l'action des microbes ? De nombreuses publications attestent déjà que la sociabilité de la souris est modulée de près par son microbiote. "Les spécimens axéniques [élevés en milieu stérile depuis leur naissance] font preuve d'une sociabilité réduite : ils passent par exemple moins de temps à explorer un nouvel individu introduit dans le groupe" , indique John Cryan, de l'University College Cork (Irlande), un des spécialistes mondiaux du micro-biote. On constate également que des modifications du microbiote altèrent la production d'ocytocine, hormone connue pour générer attachement et lien social.
"Une bactérie qui favorise la sociabilité accroît ses propres possibilités de propagation", analyse le chercheur. Et ce n'est pas tout : nos microbes pourraient même être impliqués dans le choix de nos partenaires sexuels. Dès 2010, une étude a montré que deux groupes de drosophiles développant des microbiotes différents préféreront s'accoupler avec des partenaires au microbiote proche du leur. Depuis, nombre de travaux ont montré que l'odeur corporelle, critère majeur du choix sexuel dans tout le règne animal (nous compris), résulte principalement de l'action des microbes.
Nos microbes conditionnent… notre développement
Une influence sur le rythme de croissance du fœtus, puis de l'enfant ; une corrélation avec le poids de naissance ; un rôle dans la construction du système digestif ; dans la mise en place des neurones… Des études le montrent : nos microbes interviennent tout au long de notre développement. Ce sont les données amassées sur les souris axéniques (isolées en milieu stérile) qui révèlent leur importance. Les chercheurs ont observé qu'elles ont une paroi intestinale plus mince, moins musclée, moins irriguée ; elles possèdent moins de cellules glandulaires et fabriquent donc moins de cellules digestives. Et un mot, leur système digestif est inachevé. Comme leur système immunitaire, dont 80 % se con centrent autour de l'intestin. "Les tissus immunitaires du tube digestif sont sous-développés, quasi vides de lymphocytes, et les ganglions voisins sont immatures" , précise Marc-André Selosse, du Muséum d'histoire naturelle. Quant à notre système nerveux, il semble avoir besoin, pour se développer au stade fœtal, des microbes maternels. Dans un article de septembre 2020, une équipe de l'université de Californie a montré que les embryons portés par des souris axéniques ont des neurones plus courts et une expression réduite de certains gènes cérébraux, conduisant à des troubles comportementaux chez les souriceaux.
… et façonnent notre immunité
De l'épilepsie au cancer en passant par la schizophrénie… dans une conférence TED de 2015, Elaine Hsiao recensait déjà dans la littérature scientifique 26 maladies associées à des changements de microbiote - on n'a cessé d'en découvrir de nouvelles depuis, même si causes et effets sont parfois difficiles à démêler. Les microbes agissent parfois comme des freins sur notre système immunitaire en prévenant les réactions disproportionnées qui provoquent allergies et maladies auto-immunes. La maladie de Crohn, par exemple, qui se manifeste par une inflammation chronique de l'intestin, régresse (temporairement) sous l'effet de transferts de microbiote sain. De même, des travaux récents ont montré que Bacteroides fragilis, une bactérie intestinale, atténue sensiblement les effets de la sclérose en plaques en agissant sur les lymphocytes T régulateurs. Quand Lactobacillus casei semble, elle, réduire l'eczéma, autre maladie inflammatoire. Mais on observe aussi l'inverse : le microbiote aide parfois le système immunitaire à s'activer. Sans compter qu'il produit des substances antibiotiques gênant l'établissement de pathogènes… Dans une étude d'août 2020, des chercheurs canadiens ont ainsi révélé que des bactéries favorisent les défenses de l'organisme contre le cancer colorectal en synthétisant une petite molécule, l'inosine, qui dope l'activité anticancéreuse des lymphocytes T.
Source : S&V