Nos microbes gouvernent… nos goûts :

  • 30 Janvier 2021

Pourquoi certains d'entre nous sont-ils si irrésistiblement attirés par les aliments sucrés, tandis que d'autres ne jurent que par le fromage et le pain noir ? Une partie de la réponse est certainement à chercher parmi nos hôtes microbiens, dont les pouvoirs sur nos affinités gustatives et olfactives sont avérés. L'exemple de référence est bien sûr le microbe parasite Toxoplasma gondii, qui va se loger dans l'amygdale (une région du cerveau) de la souris, à laquelle il confère une attraction… pour l'urine de chat, l'animal au sein duquel le microbe achève son cycle ! Sans aller jus-qu'à coloniser notre cerveau, les microbes présents dans notre bouche influent sur notre perception des goûts, a révélé une étude de 2019 de Camilla Cattaneo, de l'université de Milan. Elle a, avec son équipe, découvert que des bactéries (dont Campylobacter et le groupe des actinobactéries) sont associées à une sensibilité gustative plus élevée. Il a également été montré que des souris axéniques perçoivent moins le goût sucré. Et d'autres études ont révélé que, selon la composition de leur microbiote, les drosophiles favorisent des aliments différents, adoptant un comportement qui renforce le groupe bactérien déjà dominant ! Pour Marc-André Selosse (MNHN), même si c'est extrêmement complexe à mettre en évidence, il y aurait une logique évolutive et une vraisemblance à ce que nos populations de microbes nous poussent vers des aliments qui les favorisent. Nos goûts constituant ainsi un terrain de lutte entre nos bactéries !

… et commandent même nos émotions

Les souris sans microbes sont plus confiantes et exploratrices que les autres ! Chez l'humain, Toxoplasma gondii, agent de la toxoplasmose, rend les hommes plus "suspicieux, jaloux et dogmatiques" - alors qu'il génère un excédent de confiance chez les femmes ! La capacité des microbes à influencer sur une grande variété de nos émotions, et donc notre caractère, est en train de se révéler. Le stress ? Une étude du laboratoire de John Cryan, à Cork (Irlande), qui pratique des batteries de tests sur des volontaires sains (surveillance du sommeil d'étudiants avant les examens, réactions durant des entretiens… ) a montré que l'apport de certains microbes, comme Bifidobacterium longum 1740, soulage fortement ses manifestations chroniques et aiguës.

Faecalibacterium , Dialister … contribueraient au bien-être via un métabolite de la dopamine. L'anxiété ? Une étude impressionnante d'Elaine Hsiao montre qu'inverser le microbiote de deux groupes de souris peu ou très anxieuses suffit à inverser leurs résultats aux tests d'anxiété ! Une démonstration qui donne à réfléchir sur les effets secondaires psychologiques possibles des transplantations fécales, de plus en plus courantes chez l'humain.

C'est une révolution qui se propage à travers les sciences du vivant, grignotant peu à peu, jusqu'à les vider de leur contenu, des concepts que l'on croyait éternels : l'individu ; le soi et le non-soi ; la transmission stricte des gènes… sont en train de voler en éclats. Un bouleversement qui fait vaciller l'œuvre des monstres sacrés des sciences du vivant que sont Charles Darwin, Louis Pasteur ou Jacques Monod. Un changement de paradigme vertigineux qui est en train de faire disparaître la notion même d'organisme ! Biologistes, spécialistes des écosystèmes et de l'évolution, généticiens, chercheurs en médecine… tous découvrent aujourd'hui que les frontières du corps sont poreuses : au-delà de cet ensemble d'organes et de cellules délimités par une enveloppe… nous sommes une symbiose ! Et ce "nous" désigne non seulement les humains, mais aussi tous les animaux et les plantes, cet ensemble que le virologue Patrick For-terre appelle les "macrobes" , les êtres vivants visibles à l'œil nu.

(Source S&V)

Et tout cela, par la faute… de nos microbes. De notre imbrication intime, notre entrelacement, avec un monde microbien invisible dont on découvre aujourd'hui non seulement la stupéfiante richesse, mais aussi la puissance insoupçonnée.