Comprendre la dépression

  • 06 Février 2021

 

Sur le plan thérapeutique, des recherches cliniques sont menées autour de mécanismes d’action déjà identifiés : c’est notamment le cas de médicaments expérimentaux ciblant la voie du GABA, ainsi que d’autres molécules voisines de la kétamine. Les premières données issues des essais cliniques conduits jusqu’à présent sont encourageantes. Elles pourraient aboutir à une nouvelle offre de médicaments antidépresseurs dans les prochaines années.

Parallèlement, les chercheurs tentent toujours de mieux comprendre la dépression, notamment au regard des les données cliniques montrant des typologies de patients et des réponses aux traitements actuels très disparates. Plusieurs nouvelles voies émergent, dont certaines sont particulièrement prometteuses. Elles pourraient mettre en évidence de nouveaux mécanismes et aboutir à l'identification de nouvelles cibles thérapeutiques. A terme, il est possible d’imaginer de mieux cibler les traitements en fonction des profils individuels et des profils cliniques.

Dépression et olfaction

L’olfaction et ses déterminants constituent une piste intéressante : sur le plan physiologique, le système olfactif est un lieu de neurogenèse qui interagit directement avec l’hippocampe, une région du cerveau jouant un rôle essentiel dans la neurogenèse. De plus, l’imagerie cérébrale montre un lien très fort entre l’activation des structures cérébrales impliquées dans la perception des émotions comme l’amygdale et celles liées à l’olfaction.

Cette relation étroite existe en clinique : on observe une réciprocité entre dépression et olfaction, les patients déprimés ayant fréquemment une olfaction altérée tandis que les personnes développant des troubles olfactifs souffrent fréquemment de symptômes dépressifs. L’heure est à la compréhension fine des interactions entre les deux systèmes, afin d’envisager des pistes d’action thérapeutiques.

Dépression et inflammation

Le rôle de l’inflammation dans la dépression est renforcé par plusieurs données récentes : l'imagerie cérébrale (IRM) a permis de décrire une corrélation entre la diminution du volume de matière grise corticale et une augmentation de la concentration plasmatique de certains médiateurs de l'inflammation (interleukinesinterleukinesProtéine du système immunitaire, servant de messagers entre les cellules qui le composent.) chez des patients déprimés. La protéine-C réactive (CRP), pro-inflammatoire, a également été décrite comme étant un marqueur précoce du risque d’épisode dépressif caractérisé.

Ces éléments soutiennent l’importance de l’inflammation chronique et de l’activation du système immunitaire dans le développement et la progression de la pathologie. Elles perturberaient le métabolisme d'un acide aminéacide aminéÉlément de base constituant les protéines. essentiel à partir duquel la sérotonine est synthétisée : le L-tryptophane (Trp). L’inflammation périphérique favoriserait la libération d'une enzyme dégradant le Trp par différentes cellules du système immunitaire (macrophagesmacrophagesCellule du système immunitaire chargée d’absorber et de digérer les corps étrangers, lymphocytes, cellules dendritiquescellules dendritiquesCellules présentatrices d’antigènes responsables du déclenchement d’une réponse immune adaptative.), ce qui conduirait à une réduction de la synthèse de la sérotonine. D’ailleurs, des essais cliniques ont pu montrer l’amélioration des symptômes dépressifs après traitement anti-inflammatoires.

Dépression et microbiote intestinal

La dépression ne serait pas une maladie uniquement liée au système nerveux centralsystème nerveux centralComposé du cerveau et de la moelle épinière. : elle pourrait également avoir une origine périphérique. Voilà plusieurs années en effet que l’impact du microbiote intestinal est évoqué dans plusieurs maladies systémiques et, plus récemment, dans certains troubles mentaux. Il est possible que les voies de communication entre le microbiote intestinal et le système nerveux central (SNC) impliquent le système nerveux autonome (SNA), les systèmes entérique, neuroendocrinien et immunitaire. De nombreuses données expérimentales et cliniques confirment ainsi que la composition du microbiote est différente entre les personnes atteintes par certaines pathologies psychiatriques (autisme, schizophrénie…) et celles qui n’en souffrent pas.

Les données précliniques actuelles suggèrent qu’une perturbation du microbiote intestinal (dysbiose intestinale) pourrait favoriser la survenue de troubles anxieux ou dépressifs. Une équipe Inserm (Moods, Université Paris-Saclay) a décrit que le microbiote des patients déprimés présente un profil différent de celui de sujets contrôles et que les antidépresseurs modifient la composition du microbiote. Le microbiote pourrait aussi constituer un facteur prédictif de réponse aux antidépresseurs. Des essais cliniques préliminaires de transplantation de microbiote fécal sont en cours.

D'autres voies à explorer

L’implication des neurostéroïdes ou des endocannabinoïdesendocannabinoïdesLipides sécrétés de manière endogène par l’organisme. est aussi à l’étude. Des modifications des concentrations périphériques de certains neurostéroïdes (DHEA, alloprégnanolone…) ou d’endocannabinoïdes (anandamine, 2-AG) ont en effet été observées chez les patients déprimés.

Vers la personnalisation des traitements

Les chercheurs tentent par ailleurs d’identifier des marqueurs de réponse aux traitements qui permettraient de choisir d’emblée la bonne stratégie thérapeutique pour chaque patient. Des travaux ont par exemple montré qu’une hypoactivité du cortex insulaire (impliqué dans la réponse émotionnelle) est associée à de bonnes chances de rémission par thérapie cognitive mais à une faible réponse aux antidépresseurs. A l’inverse, si cette région corticale est hyperactive, les antidépresseurs donneront de meilleurs résultats que la thérapie cognitivo-comportementale. L’activité des récepteurs à la sérotonine pourrait, elle aussi, constituer un marqueur de réponse aux traitements : les chances de rémission sont en effet plus élevées si ce récepteur fixe fortement la sérotonine au niveau cérébral, ce qui est variable selon les patients. De tels travaux peuvent améliorer l’évolution vers personnalisation de la prise en charge de la dépression.

Devant la variabilité interindividuelle de la réponse aux antidépresseurs, des explorations ont été menées afin d’identifier les gènes dont le polymorphismepolymorphismeLe fait qu’une espèce présente des individus aux caractéristiques différentes au sein d’une même population/ Propriétés des gènes qui se présentent sous plusieurs formes, appelées allèles. peut influencer la pharmacocinétique des médicaments et, ainsi, l’efficacité de ces médicaments. Les gènes codant pour des protéines responsables du métabolisme, du transport ou des cibles moléculaires des antidépresseurs sont pour l’heure les plus étudiés et les mieux décrits. Cette approche, dite de pharmacogénétique, commence à être utilisée en pratique clinique, même si elle reste pour l’heure réservée à certains centres experts comme le service de psychiatrie de l’hôpital Bicêtre et le Mood Center Paris Saclay : elle permet de personnaliser le traitement en adaptant le choix de la molécule et sa posologie au profil pharmacogénétique du patient.

L’identification de marqueurs de vulnérabilité permettant de prédire une rechute après un premier épisode dépressif constitue enfin un autre champ de recherche. Pour les découvrir, les chercheurs mesurent les concentrations de différents marqueurs associés à la dépression au moment du diagnostic, lors du suivi, puis après rémission. De tels travaux ont ainsi pu montrer que l’augmentation du taux cérébral de monoamine oxydase (impliquée dans la dégradation de la sérotonine, noradrénaline et de la dopamine) est associé à celle du risque de rechute. Des taux élevés de cortisol après traitement par antidépresseur seraient aussi associés à un risque plus élevé de récidive dans les deux à trois années suivantes. Des travaux similaires sont actuellement menés sur certains récepteurs de la sérotonine.

Source : INSERM